Les critères que nous cherchons à mettre en place sont subjectifs, par définition : ils prennent le point de vue d'un sujet particulier. Le sujet retenu ici est le nôtre : c'est le point de vue d'un petit FAI associatif qui voudrait opérer de la fibre optique pour ses abonné·e·s sur un RIP donné et qui veut mesurer si c'est possible.
Nous avons pris des hypothèses de calcul qui correspondent, le plus fidèlement possible, à ce point de vue.
Deux durées critiques apparaissent. D'une part, la durée d'amortissement des frais fixes. Par exemple, la mise de fonds initiale sur une porte de collecte doit être traitée comme un investissement. Au bout de combien de temps estimons-nous nécessaire que cet investissement ait été amorti, c'est-à-dire ait permis de faire rentrer l'argent nécessaire pour renouveler l'investissement en question (par exemple, ouvrir une deuxième porte de collecte) ? Les durées qui ont du sens pour un tel amortissement s'étalent de 3 ans à 8 ans. D'autre part, la seconde durée critique est la durée moyenne d'un abonnement. En effet, les frais fixes liés à un abonné donné (frais de raccordement, par exemple) ne peuvent pas être "étalés" dans le temps, sur une durée plus longue que la durée moyenne d'un abonnement. En effet, si les personnes restent abonnées en général deux ans, étaler ces frais sur 5 ans n'a pas de sens dans le calcul des frais de revient.
Pour simplifier nos calculs, et parce que c'est une grandeur réaliste, nous avons retenu trois ans dans les deux cas.
Le deuxième élément clef est le nombre d'abonné·e·s. En effet, pour une offre donnée au catalogue d'un RIP, si nous faisons les calculs en supposant que nous aurons 5 abonné·e·s sur la zone, ça ne donne pas le même résultat que si nous supposons que nous en aurons 30.000. Sur le plan national, toutes technologies confondues, la Fédération FDN représente moins de 3.000 abonné·e·s. Sur une zone restreinte, même avec une offre super géniale, ce serait délirant de supposer qu'on aura un nombre très élevé d'abonné·e·s. D'autre part, si on part dans l'idée qu'on aura 5 abonné·e·s, ça ne mérite pas le travail bénévole pour tout mettre en place. Nous estimons donc que le seuil minimal est autour de 30 abonné·e·s. Si avec 30 abonné·e·s on peut obtenir un équilibre économique qui ne soit pas idiot, ça mérite l'énergie bénévole pour le faire, et l'énergie bénévole investie fera probablement émerger ces 30 abonné·e·s.
Par ailleurs, dans un contexte autre, dans une subjectivité qui n'est plus la nôtre, mais celle d'autres collègues opérateurs, 30 abonné·e·s "entreprise/PME/TPE", cela correspond à un seuil qui n'est pas idiot pour un petit acteur local qui veut commencer un business. En gros, si nous arrivons à fournir des abonnements pour le grand public avec 30 abonné·e·s, alors un opérateur qui s'adresse aux pros pourra produire une offre raisonnable dans les mêmes conditions, mais avec des services pros facturés.
Nous avons donc calculé, sur chaque RIP, à partir des informations du catalogue de service, quel était le prix de revient de la ligne, si nous avions 30 abonné·e·s pendant 3 ans.
Le troisième critère est celui du prix. Si on souhaite apporter de la fibre au grand public, il faut être capable de le faire à un prix qui soit vaguement comparable aux grands opérateurs habituels. Si l'accès fibre que nous proposons est deux fois plus cher que celui des grands opérateurs, alors il n'est pas raisonnable de s'abonner chez nous. Et si nous arrivions à sortir un prix qui soit la moitié de celui des grands opérateurs, alors que nous ne sommes pas capables de faire les mêmes économies d'échelle qu'eux, c'est qu'il y aurait une erreur grossière dans leur modèle économique.
L'offre classique, pas spécialement agressive, est celle d'Orange : elle est plutôt chère à 42 euros TTC par mois (sans tenir compte des promos pour les 12 premiers mois, ou des campagnes diverses genre Noël ou la fête de la coucourde). Si nous voulons pouvoir fournir un abonnement à ce prix-là, il faudrait que nous ayons un prix de revient de la ligne FTTH autour de 30-35 euros TTC, la différence étant la marge de l'association, les services qu'elle fournit, le trafic vers Internet, le support, les frais liés à la facturation, etc. Pour comparaison, le raccordement vers Internet est une prestation assez voisine d'un VPN, dans son montage économique. Les associations de la fédération facturent ces VPN entre 5 et 10 euros TTC.
Nous nous sommes donc demandé, sur le catalogue de chaque RIP, combien d'abonné·e·s il nous faudrait avoir pour obtenir ce prix de revient de 30 euros TTC. Précisons que l'ARCEP a publié une recommandation qui indique un prix de 27 euros TTC. Notre critère est donc plus que raisonnable à ce niveau.
Nous avons donc décidé, à partir des informations que nous avions obtenues, et de celles que nous avons calculées sur cette base, de produire une note. Nous avons pour le moment prévu 5 notes possibles.
Les notes "raisonnables", de A à D, pour les réseaux sur lesquels nous aurions une chance de réussir à opérer, en fonction des conditions, du prix, des interlocuteurs, des durées d'amortissement nécessaires, etc. Une note de A indique que tous les éléments semblent favorables, une note de B indique qu'un élément en particulier pose problème, et ainsi de suite jusqu'à D.
Et enfin la note déraisonnable, Z, pour les réseaux où rien n'est possible : aucune offre activée au catalogue, ou un autre point tout aussi bloquant.
Les contrats prévoient, le plus souvent, des frais fixes, non répétables, qui ne sont facturés qu'une seule fois au début. Ça peut prendre un peu n'importe quel nom, depuis "mise en place d'une porte de collecte" à "payer un pot de vin au commercial", on s'en fiche un peu. C'est la somme qui est payée lors de la mise en place du contrat. Elle est diluée dans les abonnements : divisée par le nombre d'abonné·e·s sur lequel nous faisons le calcul, et par le nombre de mois sur lequel nous avons décidé d'amortir ces frais fixes globaux. En prenant 36 mois d'amortissement et 30 abonné·e·s, une porte de collecte qui coûte 2000 euros HT se traduit par un supplément de 1,85 euros HT par mois pour chaque ligne. Plus le nombre d'abonné·e·s est grand, plus cette somme devient négligeable.
Dans certains contrats, il y a des frais globaux récurrents. Par exemple un loyer mensuel sur la porte de collecte, en plus ou à la place des frais d'ouverture de ladite porte. Ces frais sont lissés sur le nombre d'abonné·e·s. Ainsi, une porte de collecte qui est louée 500 euros HT par mois, sur 30 abonné·e·s, se traduit par un supplément de 16,67 euros HT pour chaque ligne. Ces sommes baissent quand le nombre d'abonné·e·s est grand, mais sont toujours difficiles à absorber sur les petits FAI.
Ce sont les frais d'ouverture de ligne, ou de fermeture de la ligne. Nous les lissons dans le temps sur la durée moyenne d'abonnement supposée. Ainsi, s'il faut payer 50 euros HT à l'ouverture de la ligne, et 80 euros HT lors de sa résiliation, cela fait un total de 130 euros HT de frais fixes. Si on suppose une durée moyenne d'abonnement de 36 mois, cela correspond à un supplément de 3,60 euros HT par ligne.
Le raccordement correspond au dernier segment FTTH du côté de l'abonné (techniquement situé entre le PBO et le PTO). Il est généralement réalisé à la première demande d'abonnement FTTH de l'abonné parce qu'il implique une interaction forte avec le propriétaire du logement : convention, travaux de percement, etc. Les frais de raccordement associés à cette prestation sont généralement facturés séparément.
Deux modèles ressortent des catalogues que nous avons obtenus. Le premier modèle consiste à facturer ces frais à l'ouverture de la ligne (généralement entre 150 et 450 euros HT) avec un système complexe de "droits de suite" : si l'abonné change de FAI, le FAI sortant peut refacturer une partie des frais de raccordement au FAI entrant, selon une grille tarifaire dégressive au cours du temps. Dans le second modèle, ces frais de raccordement sont lissés dans le temps et ramenés à un tarif mensuel, généralement compris entre 1.50 euros HT et 4.50 euros HT. La durée typique de lissage est de 7 à 8 ans, ce qui est très largement supérieur à la durée moyenne d'abonnement. L'option mensualisée est donc bien plus simple et plus intéressante, surtout pour un FAI associatif disposant de peu de trésorerie.
Chaque contrat prévoit un prix de location par ligne, en abonnement mensuel. Le plus souvent, c'est le seul prix qui est regardé sur les catalogues. Or c'est une très grosse erreur de calcul. Ainsi, dans les exemples ci-dessus, tirés d'exemples réels, il y a 22,13 euros HT à ajouter au loyer mensuel de la ligne. Quel que soit ledit loyer mensuel, ce surcoût ne peut pas être négligeable.
Ce prix de location par ligne peut parfois comprendre les frais de raccordement lissés. Les recommandations de l'ARCEP excluant généralement les frais de raccordement, nous nous efforçons de respecter la même convention de présentation lorsque cela est possible.
Dans certains contrats, la collecte est facturée en fonction de la bande passante consommée, mesurée selon des outils relativement classiques dans nos métiers (facturation de la consommation maximum au 95e centile, typiquement). Il y a alors une hypothèse importante qui est la consommation moyenne de bande passante constatée. Nous nous appuyons pour ça sur ce que nous constatons comme pratique chez nos abonné·e·s, ce qui est assez proche de ce qui est constaté également par les grands opérateurs. Par ailleurs, certains contrats prévoient également qu'une part de bande passante soit incluse dans le loyer de la ligne. Notre hypothèse de consommation est de 0,8 Mb/s pour un abonné.
Ainsi, un contrat qui prévoit que chaque ligne emporte 0,2 Mb/s de bande passante, et que le surplus est facturé à 12 euros du Mb/s, implique un supplément pour chaque ligne de (0,8-0,2)*12 = 7,20 euros HT.
Voilà la forme générale du prix de revient d'une ligne, tel qu'on vient de le définir :
P = F/(N*36) + f/N + A/36 + a
Avec P, le prix mensuel, N le nombre d'abonné·e·s, F les frais fixes globaux, f les récurrents globaux, A les frais fixes d'un abonnement et a les frais récurrents d'un abonnement (y compris la bande passante). Nous savons donc, pour un contrat donné, et en supposant un nombre d'abonné·e·s donné, donner ce qui sera le prix de revient d'une ligne. Le premier 36, appliqué à F, est la durée d'amortissement du contrat. Le second 36, appliqué à A, est la durée moyenne d'abonnement pour chaque ligne.
Nous souhaitons maintenant savoir, sur ce contrat, combien d'abonné·e·s il nous faudrait pour atteindre un prix cible donné. Il faut donc inverser l'équation, pour calculer N en fonction de P, au lieu de calculer P en fonction de N. C'est un exercice de mathématiques accessible à tou·te·s.
P - A/36 - a = F/(N*36) + f/N (P - A/36 -a)*N = F/36 + f N = (F/36 + f)/(P - A/36 - a)
Cette formule met en évidence un élément important : si le prix cible P est inférieur aux frais strictement lié à la ligne (les frais fixes de la ligne étalés sur la durée de l'abonnement + l'abonnement de la ligne), alors il est impossible d'atteindre le prix cible, même avec un nombre infini d'abonné·e·s. Ça se traduira par le fait que la formule donnera une valeur négative pour N (si nous avions un nombre négatif d'abonné·e·s, alors nous toucherions de l'argent tous les mois pour ces abonnements négatifs, qui finirait par compenser les coûts globaux du contrat).
En d'autres termes : si cette formule nous donne une valeur négative, il est impossible d'atteindre le prix cible fixé. Si elle donne une valeur positive, c'est le nombre d'abonné·e·s qu'il nous faudrait pour que le prix cible soit atteint.